Quand les enfants éduquent les adultes
11 janv. 2021« Papa ? Pourquoi les indultes ils crient pour pas qu’on crie ? »
Les enfants ont parfois -souvent- cette capacité à nous renvoyer la réalité sans filtres en travers de la trogne, avec le lot de contradictions qu’on a calé dedans.
A tel point que je me suis rendu compte qu’en élevant mes enfants, ils m’ont eux même élevé.
Dans mon cas, ça ne s’est pas fait sans douleurs, sans erreurs, sans doutes, loin de là, mais ça s’est aussi fait dans la joie, dans le bonheur et la bienveillance. Surtout quand j’ai été disposé à botter le cul de mon ego.
Mon fils aîné a mis à peu près un an à faire ses nuits, un an de nuits morcelées, à vivre partiellement éveillé, à voler en discontinu des moments de sommeil. Une année durant avec un nouveau né pleurant beaucoup dès qu’il se trouvait seul. Beaucoup et longtemps.
Cette situation a été difficile pour moi à vivre.
Pas seulement à cause de la situation en elle même, mais aussi parce qu’elle me renvoyait à mon échec dans ma capacité à correspondre à l’image de l’homme/père idéal érigée en modèle par la société, à laquelle je croyais devoir correspondre.
Du genre : L’homme impose son autorité naturelle par son intelligence et sa force avec tranquillité et humour, calme, solide, protecteur de sa famille, sait amener son enfant à lui obéir.
Donc dormir, manger, rire, être sage, arrêter de pleurer etc, tout ça sur commande.
Sauf qu’on ne « discipline » pas la vie. La vie est là, et on peut juste choisir comment on souhaite l’accompagner et vivre avec.
Je crois avoir fait l’erreur d’essayer de correspondre plus ou moins consciemment à l’image sociétale du père, plutôt que de faire « simplement » avec ce que je suis.
Il m’a été difficile de m’affranchir du poids de ce que je projetais dans le regards des autres, du « mais qu’est ce qu’on va penser si je ne suis pas capable de faire telle chose de telle manière ? »
Durant cette première année avec mon fils donc, j’ai parfois fait de la merde. Vraiment. Hurler de désespoir dans la maison, défoncer des murs à coups de poings, crier sur mon enfant, l’immobiliser par le bras pour lui intimer d’obéir. Des gestes, des attitudes de merde, stériles et contre-productifs de surcroît, qui m’ont chargé de culpabilité et enfermé dans une colère contre lui et contre moi, normalisant et enracinant ainsi cette relation. S’il y a eu un moment de bascule particulier qui m’a clairement fait comprendre que cette voie me menait vers une forme de relation dont je ne voulais pas, j’ai aussi tiré une magnifique leçon offerte un jour par mon fils aîné :
Nous étions avec ma compagne chez le médecin pour la visite médicale de notre fils. Je me souviens de la salle d’attente, d’un sentiment aigre d’épuisement, de fatigue et de tristesse, partagé dans nos regards éteints, posés sur le dos du babillard qui jouait à nos pieds. Et tandis que je ruminais ma souffrance et ma culpabilité d’être un « mauvais père », notre bout d’homme d’à peine un an s’est retourné vers nous en louchant avec un grand sourire béat rempli d’amour, déclenchant nos éclats de rire libérateurs.
Ce jour là, j’ai commencé à comprendre que culpabiliser était choisir de focaliser sur les moments où j’estimais avoir « failli », « raté ». J’ai commencer à piger qu’en choisissant de me regarder ainsi, je laissais dans le noir tous les moments du quotidien, à m’occuper de lui, à lui faire des câlins, à le nourrir, à le changer, à jouer ensemble, à sourire ensemble, à le renourrir, à le rechanger à se promener ensemble, à l’aimer.
( Et a le re re re re renourrir et re re re re re changer...)
Ce sont finalement mes enfants, en grandissant, qui m’ont permis de comprendre tout ça, à chaque fois où ils m’ont renvoyé mes contradictions au visage, à chaque fois où certains de leurs comportements que je jugeais pénibles m’ont désagréablement renvoyé aux miens.
Les regarder m’a fait comprendre à quel point je ne peux prétendre à leur faire intégrer des valeurs si je ne les incarne pas moi même. L’attitude et l’action sont bien plus puissantes que les paroles.
Les regarder m’a aussi fait comprendre à quel point je ne suis pas eux, et qu’ils ne sont pas moi. Ils ont leur propre regard sur le monde et je ne suis pas dans leur tête. Au mieux je peux les épauler pour qu’ils se construisent mais je n’ai aucune prise sur ce qu’ils feront avec ce que j’essaie de leur donner.
Au mieux je peux les sécuriser par mon amour, guère plus.
Mes enfants m’ont fait sacrément grandir. Ils m’ont permis de prendre confiance en moi, de faire taire plus facilement mon orgueil/ego, et d’apprendre à m’aimer un peu mieux. (Sans occulter le rôle de ma compagne car elle aussi m’a énormément fait grandir, mais bon là c’est pas le sujet)
Je n’étais pas du tout préparé à m’occuper d’un enfant. Je n’avais aucune idée de ce dans quoi je m’engageais. Je ne suis pas fier de tout ce que je fais, loin de là, mais je fais de mon mieux et je trouve que je progresse.